Discours du Président de la République à l’occasion de la COP 27

Monsieur le Président,
Monsieur le secrétaire général des Nations unies,
Mesdames et Messieurs les chefs d’États et de gouvernements,
Monsieur le secrétaire exécutif de la convention des Nations unies sur les changements climatiques,
Chers amis,

Je suis d’abord heureux de vous retrouver. Je veux remercier et féliciter le Président SISSI pour son accueil, pour cette COP qui est tout à la fois une COP africaine, une COP de la justice climatique, une COP de la mise en œuvre - ça a été dit par plusieurs avant moi - de travaux qui sont indispensables et donc le remercier pour ce parfait accueil. Nous étions ensemble il y a un an à Glasgow où nous avons, ensemble, relevé nos ambitions et où nous avons fait le constat des avancées mais également pris plusieurs dispositions. Tout ce qui a été dit à Glasgow reste et doit rester valable parce que, même si notre monde n’est plus le même, le climat ne saurait être la variable d’ajustement de la guerre lancée par la Russie sur le sol ukrainien.

En effet, l’agression de la Russie contre l’Ukraine a non seulement ramené la guerre sur le sol européen, mais elle a aussi plongé le monde entier dans une grave période d’incertitude, de tensions énergétiques, alimentaires, de difficultés ajoutées aux difficultés, en particulier pour nombre de pays du continent africain et du pourtour méditerranéen. Cette crise venant quelques mois après la pandémie, s’ajoutant aux autres crises, pourrait faire céder beaucoup en disant : « nous avons d’autres priorités, le climat pourrait attendre ». Mais dans le même temps, nous voyons nombre de nos États qui sont frappés par les conséquences mêmes du dérèglement climatique et qui, si besoin en était, nous démontrent une fois encore que l’urgence climatique est bien là. Elle n’est pas pour demain. Et donc, nous n’avons qu’une obligation, celle de continuer d’agir, d’agir sur l’atténuation, sur l’adaptation, sur la préparation aux crises et la réparation face aux crises et aux dérèglements, tout en vivant cette période de choc, de retour de la guerre et de ses conséquences sur notre sol.

Pour ce faire, je voulais ici, après les chefs d’États et de gouvernements qui m’ont précédé et avant plusieurs autres, dire quelques mots simples. Le premier : nous ne sacrifierons pas nos engagements climatiques sous la menace énergétique de la Russie. Et donc, l’ensemble des engagements tenus par les pays doivent se poursuivre. Pour les pays les plus riches, en particulier les pays européens dont la France, ça a été le dépôt de nos stratégies nationales conformément à nos engagements ; ça doit être maintenant le respect de celles-ci. C’est une ligne d’action qui est le Fit for 55 et le plan européen de réduction de nos émissions à hauteur de 55 % de baisse pour 2030. C’est une stratégie qui va beaucoup reposer sur la sobriété énergétique, sur le développement accéléré des renouvelables et des solutions qui permettent de nous passer de manière durable des fossiles comme l’accélération du nucléaire. C’est une stratégie donc énergétique complète, des engagements et un changement de nos moyens de nous déplacer et de produire, etc.

Le deuxième élément clé, c’est que nous devons continuer le combat de l’atténuation et que nous devons à la fois sortir nos économies du charbon, -c’est ce qui est au cœur de la stratégie européenne qui doit être pour tous les pays les plus riches-, mais on doit aider les émergents à le faire au plus vite. C’est un point clé si nous voulons réussir la stratégie d’ensemble et les accords de Paris. On doit tenir le cap de cette stratégie ; c’est pourquoi je crois tout particulièrement à ce que nous avons lancé ensemble autour de Glasgow, ces partenariats des JET-P, qui permettent de planifier cet effort pour les grands consommateurs et qui est véritablement clé pour cette stratégie d’atténuation.

Nous avons fait un premier pas important avec l’Afrique du Sud : la France investira un milliard d’euros pour accompagner cette action sur ce chemin et aider l’Afrique du Sud avec une stratégie qui repose sur le renouvelable, le nucléaire, les économies d’énergie, pour sortir du charbon. Nous voulons intensifier cela : c’est ce que nous mènerons avec l’Indonésie, avec l’Inde, avec le Sénégal. Il est clair que nous devons aller plus loin et plus fort. La révolution énergétique est possible et elle passe par cette stratégie avec les émergents. Elle passe aussi par une action que nous voulons mener avec plusieurs autres pays. L’Inde a donné le la avec une stratégie très ambitieuse, le Kenya, comme le Rwanda, ont aussi ouvert des stratégies très ambitieuses sur ces matières en ayant véritablement des stratégies renouvelables accélérées, que nous continuerons d’accompagner très fortement parce que là aussi les énergies renouvelables sont de moins en moins chères, de plus en plus sûres et évidemment moins carbonées que les autres. Dans ce contexte que nous vivons, elles démontrent toute leur pertinence.

Troisième grand message que je veux ici vous donner, c’est qu’au fond, nous ne devons pas oublier que cette bataille pour le climat, contre le dérèglement climatique, est de manière indissociable une bataille pour la biodiversité ; et que ces deux combats sont jumeaux. Je le dis avant le rendez-vous important de Montréal et après les One Planet Summit que nous avons tenus depuis le début de l’année 2021 sur ces sujets. Nous le savons, la nature est notre meilleure alliée pour atteindre les cibles de l’accord de Paris. Climat et biodiversité sont deux faces d’une même médaille et deux faces qui démontrent aussi que les pays qui sont vus souvent comme les plus pauvres, sont des solutions à la lutte contre le dérèglement climatique. Les pays qui ont des réserves de biodiversité, qu’elles soient marines ou terrestres, ont des réserves de puits de carbone absolument inestimables. Il nous faut les aider à les préserver ; il nous faut les aider à apporter ces solutions basées sur la nature.

Je pense en particulier aux écosystèmes critiques, les forêts anciennes, les tourbières, les mangroves, les zones humides, qui rassemblent à la fois les plus grands stocks de carbone et les plus grandes richesses en biodiversité. Si ces écosystèmes sont détruits, de vastes réserves de carbone seront libérées, annihilant toute chance de tenir nos objectifs. Nous sommes déjà plus de 100 pays à avoir une cible de protection de 30 % de nos terres et de nos mers, - initiative que nous avions lancée ensemble début 2021 et que nous portons ensemble avec le Costa Rica-. Je souhaite que la COP15 sur la biodiversité dans moins de trois semaines confirme cette ambition et nous permette d’aller encore plus loin. Nous devons donc urgemment reconnaître à ces écosystèmes un statut particulier et proposer aux États qui les abritent des contrats politiques et financiers pour les aider à les préserver.

Or, le paradoxe aujourd’hui, c’est qu’on accompagne l’amélioration des flux, mais on ne permet pas d’accompagner des États qui font le choix de préserver ces trésors de biodiversité et ces puits de carbone. C’est pourquoi nous avons ce matin lancé avec plusieurs États ici présents dont la Colombie, le Gabon, le Rwanda, plusieurs représentants des peuples autochtones, les Philippines, la Chine, les États-Unis et les Européens, une initiative pour s’inspirer de ce qu’on a fait avec les émetteurs émergents et ces programmes JET-P et mettre en place des programmes de préservation positive. Et donc, de faire des contrats pays par pays en travaillant avec les ONG, en particulier Conservation International, de pouvoir bâtir une méthode qui nous permettra de financer la préservation de ces espaces et d’avoir des contrats qui développeront une palette d’outils juridiques, politiques, financiers pour préserver ces écosystèmes. Nous avons lancé l’initiative de ces contrats ce matin. Le Gabon, la Colombie et les Philippines y ont déjà adhéré. Nous nous retrouvons à Libreville début 2023 pour adopter des plans d’action très concrets lors d’un One Forest Summit organisé conjointement avec le Président BONGO qui s’exprimait il y a quelques instants.

C’est le même type d’initiatives que nous voulons mener pour protéger les océans avec une ligne de mire : la Conférence des Nations unies de 2025. Les océans doivent être ce qu’a été au fond l’espace il y a quelques années : c’est une nouvelle frontière pour la coopération et le multilatéralisme. Là aussi, sur ce sujet, nous devons tout faire pour préserver les solutions en matière climatique et la biodiversité dans nos océans. Je veux ici être très clair : la France sera au rendez-vous de ses engagements et fidèle à ce que j’ai déjà dit. C’est pourquoi la France soutient l’interdiction de toute exploitation des grands fonds marins. J’assume cette position et la porterai dans les enceintes internationales. Plus largement, nous avons lancé ce matin un groupe de haut niveau pour bâtir une méthodologie pour des crédits biodiversités et pour permettre là aussi à horizon premier trimestre 2023 d’avoir une méthode commune.

Le dernier point, le quatrième que je souhaitais faire, c’est évidemment celui de la justice climatique. Nous avons pris des engagements et il y a aujourd’hui une confiance qui est en train de s’effriter - pour ne pas dire davantage - entre le Nord et le Sud. Ce que j’ai dit il y a quelques semaines à la tribune des Nations unies pour dire qu’il nous fallait éviter cette grande division du monde sur le sujet de la guerre, est tout aussi vrai sur le sujet du climat. Au fond, beaucoup de pays nous entendent parler de 100 milliards depuis Copenhague et se disent : « on ne voit pas l’argent arriver ». Nous devons aller au bout de la solidarité financière : on est à 82 milliards d’engagés. On doit, dans les tous prochains mois, aller aux 100 milliards et aider à convaincre les derniers pays riches qui n’ont pas pris tous leurs engagements. Mais surtout, on doit débourser beaucoup plus vite et trouver des mécanismes, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux, pour être au rendez-vous de ces décaissements, pour que cet argent arrive vers le grand Sud, sinon la confiance s’effondrera. Et donc, les 100 milliards, très vite - on n’est qu’à 82 - mais surtout la réalité sur le terrain, beaucoup plus vite encore, pour être au rendez-vous.

La deuxième chose, c’est qu’on doit être au rendez-vous, dans cette solidarité, de l’adaptation. La France s’y attelle en investissant chaque année six milliards d’euros, ce qui est notre juste part de ces efforts conformes à nos engagements de Copenhague et de Paris. Parmi ces six milliards, nous dédions deux milliards sur l’adaptation. Là aussi, tous les pays riches doivent être au rendez-vous de ces engagements et je tâcherai dans les prochaines semaines, avec plusieurs de mes camarades ici, d’aller convaincre celles et ceux qui ne sont pas encore là parce qu’il y a parfois des blocages politiques. Je veux saluer la bonne volonté de beaucoup de dirigeants qui sont ici présents dans cette salle, qui sont parfois bloqués dans leur propre pays et qui ne peuvent pas avancer aussi vite qu’ils le voudraient.

Au-delà de ces chiffres, nous devons avoir des projets concrets avec les zones les plus touchées dans le cadre d’un partenariat qui fait vivre cette justice. C’est ce que nous avons voulu lancer avec la Grande muraille verte, du Sahel à la corne de l’Afrique. Elle produit des résultats. Nous avons eu un niveau record d’engagement dès le début de l’année 2021, avec près de dix-neuf milliards d’euros, mais surtout, on a déjà l’année dernière décaissé 2,5 milliards d’euros sur le terrain, avec des projets qui permettent à la fois d’atténuer le changement climatique, de répondre aux projets d’agriculture et d’agroforesterie et de lutter contre la désertification. Et qui donc, permettent de traiter du climat, de la biodiversité et qui apportent des opportunités économiques aux pays les plus fragiles, en donnant de la souveraineté alimentaire, en bâtissant de vraies filières de protéines végétales. Là aussi, ce dont nous avons besoin, c’est d’aller plus vite, de bâtir des partenariats plus efficaces encore avec les organisations non gouvernementales de terrain, avec les entrepreneuses et entrepreneurs du terrain, pour répondre à ce défi de la justice climatique.

Mais nous devons aujourd’hui, je le disais, aller plus loin, plus loin que les 100 milliards, plus loin que ces initiatives déjà prises. Je finirai mon propos sur ce point. Nous avons besoin d’un grand choc de financements concessionnels. Il est au cœur du débat qu’avec raison, beaucoup ont mis sur la table, celui des pertes et préjudices. Je veux saluer le courage, la force de beaucoup de leaders africains, caribéens, pacifiques, latino-américains, qui ont porté ce débat en nous disant « on pourrait vous parler du passé, parce que la justice n’a pas toujours été au rendez-vous. Mais déjà, on veut parler avec vous de l’avenir ». Et ils ont raison. « Parce que non seulement, on a moins émis que vous par le passé, non seulement parfois, vous nous avez empêché de nous développer comme on voulait le faire, mais on va être touchés par les conséquences de ce qui arrive parfois plus vite que vous. Parce que nous sommes des petites îles vulnérables, parce que nous avons un trait de côte qui est plus bousculé, parce que nous avons des réalités géographiques qui nous rendent plus fragiles et vulnérables que vous ». Et ils ont raison. C’est un débat qui est juste. Mais surtout, tous les pays à revenu intermédiaire, certains émergents, les pays les plus pauvres ; ils nous ont tous vus, nous les pays les plus riches au moment de la pandémie, parce que nous avions un choc qui était un choc qui touchait tout le monde de manière au fond symétrique, et on a fait des choses exceptionnelles. Là, on a mobilisé des financements exceptionnels. Et ils nous disent, « mais nous, ce qui nous arrive est exceptionnel : la fin de l’eau sur notre sol, les bouleversements qui nous rendent la vie impossible. Et là, vous voulez nous expliquer qu’on revient au business as usual ». Et ils ont raison, ça ne peut pas être le business as usual.

Donc, nous devons porter un choc : on a commencé à le lancer pendant la pandémie mais on on était déjà en retard, on est plus en retard encore. Nous devons donc nous battre pour être au rendez-vous des droits de tirage spéciaux et des 100 milliards de dollars au soutien des pays les plus pauvres, dont une grande partie ira vers le climat. Nous porterons au moment du G20 le passage de 20 à 30 % de réallocation - en tout cas, vous pouvez compter sur moi pour convaincre les derniers qui n’ont pas été là pour donner leur part, parfois à cause de ces blocages-. Mais nous avons aussi lancé l’idée avec la Première ministre de la Barbade, Mia MOTTLEY, dont je veux saluer le courage, l’ambition, le caractère inspirant qu’on a vu tout à l’heure ici à cette tribune ; l’idée d’un groupe des sages de haut niveau qui devra nous faire des recommandations rapidement sur les financements innovants pour le climat.

Donc, au printemps prochain - pas dans un an, deux ans, au printemps prochain-, nous avons demandé au FMI, à la Banque mondiale et à l’OCDE de nous proposer des solutions très concrètes pour activer ces mécanismes financiers innovants pour nous permettre de développer l’accès à des liquidités nouvelles, des capacités de prêts nouvelles, pour des pays, y compris des pays à revenu intermédiaire qui sont touchés par ces chocs, et pour ensemble aussi nous proposer des solutions qui prennent en compte la vulnérabilité climatique de beaucoup de pays. Pour mobiliser des financements exceptionnels privés, des financements exceptionnels publics et privés ; mais surtout pour nous tous, ensemble, changer nos règles, les règles de nos grandes banques internationales, de nos banques de développement, du FMI, de la Banque mondiale et de nos grands prêteurs. En disant « ce qu’on vous demande sur la dette, ce qu’on vous demande sur les remboursements, ce qu’on vous demande en termes de garanties, quand vous êtes frappés par un choc climatique, quand vous êtes la victime d’un accident climatique, on doit le suspendre et le prendre en compte ». C’est ça le sujet des pertes et préjudices. Nous devons, avec les émergents et avec les pays en développement, avec les pays à revenu intermédiaire, faire ce travail pour transformer complètement notre logique, sinon il sera trop tard.

Le rendez-vous est pris en partenariat avec la Première ministre de la Barbade Mia MOTTLEY. Nous porterons cette initiative pour que le printemps prochain, on ait ce groupe de haut niveau qui nous fasse ses propositions et comporte un changement de nos règles, de nos textes et de notre fonctionnement, dès les journées de printemps du FMI et de la Banque mondiale et de tous nos grands acteurs institutionnels et de nos investisseurs. C’est ça la mise en œuvre pratique. On ne peut pas attendre la prochaine COP : il faut que ce soit dans six mois.

J’ai déjà été trop long et je m’en excuse mais la mise en œuvre a commencé. Ne nous laissons pas ralentir, parce qu’au fond, toutes ces crises successives nous disent la même chose. Les injustices du monde dans lequel nous vivons sont devenues insoutenables. Les crises aggravent ces injustices et donc nous ne pouvons nous en sortir que par une recomposition profonde de nos mécanismes de solidarité public-privé et des règles qui sont les nôtres. C’est cela que nous devons changer. Rien de moins. Et c’est cela que cette COP africaine, accueillie par l’Égypte, que je remercie une fois encore, doit nous permettre de faire.

Merci à toutes et tous. Merci beaucoup.

Dernière modification : 13/12/2022

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